Pierre Huyghe

Pierre Huyghe, né le à Paris, est un artiste français, plasticien, vidéaste, designer. De 1982 à 1985, il étudie à l’École supérieure des arts décoratifs de Paris. il intègre et devient cofondateur du collectif « Les frères Ripoulin ». En 1995, il crée l’association des Temps libérés, au Nouveau Musée/Institut d’art contemporain de Villeurbanne.

Un an plus tard en 1998, il expose avec Dominique Gonzalez-Foerster et Philippe Parreno. Il réalise une exposition où l’accrochage est d’un nouveau genre : une sorte de parcours cinématographique dont une speakerine filmée rythme les étapes. La même année, il est lauréat de la Villa Kujoyama. En 2001, il obtient le prix spécial du jury à la Biennale de Venise. En 2002, il est lauréat du prix Hugo Boss délivré par le Metropolitan Museum of Art de New York (Premier français à obtenir ce prix). En 2003, il expose de nouveau avec Dominique Gonzalez-Foerster lors de l’exposition collective GNS (Global Navigation System) au Palais de Tokyo à Paris.

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Pierre-Huyghe, Zoodram, 2011

Depuis ses débuts, l’artiste s’interroge sur les rapports étroits et ambigus entre réel et fiction. Il analyse aussi sa relation au temps, au spectateur et à la mémoire collective. Son travail interroge la notion d’exposition. Il veut mettre à jour les dessous de la création et de la production, en jouant avec le temps et l’espace. Pour lui, expédition rime avec exposition. Il veut repousser les limites de l’exposition en inventant à chaque fois un autre format, un autre langage. Dans ses expositions, le visiteur devient alors acteur d’une réalité cadrée mais pas prisonnière. Il devient récitant d’un scénario à venir. Par ailleurs, ses expositions ne sont jamais un aboutissement d’un projet, mais simplement une étape. Les projets se prolongent, se racontent, se partagent, s’arrêtent puis reprennent.

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En 2010, Pierre Huyghe achève l’expérience The Host and the Cloud. Cette dernière est une situation réelle, qui s’est déroulée dans un musée fermé au fond d’un parc d’attraction. Elle a été conçue pour un petit groupe d’acteurs placé sous certaines conditions, faisant face à différentes influences qu’ils pouvaient librement altérer et métaboliser. L’expérience live a été suivie par des témoins à Halloween, la Saint-Valentin et le 1er mai et a été partiellement enregistrée au cours de ses trois journées. Alors que ce rituel se déploie, nous suivons la formation et l’apparition d’une pensée. Les rôles et les comportements des acteurs, ici, personnel du musée, changement au fur et à mesure de leur rencontre et exposition avec la collection des dispositifs, des situations et des fragments de récits hétérogènes. Ce film documente cette situation.

La même année, Pierre Huyghe reçoit le prix de l’artiste contemporain de l’année 2010, une récompense décernée par le Smithsonian American Art Museum (Washington D.C.). Ce prix distingue un artiste américain ou résidant aux États-Unis âgé de moins de 50 ans. Il est le neuvième artiste à recevoir ce prix, créé en 2001, et le premier français. Il a été désigné par un jury composé de cinq personnalités du monde de l’art : Nicholas Baume, directeur du Public Art Fund (en) de New York, Margo Crutchfield, conservatrice du Musée d’art contemporain de Cleveland (en), Anne Ellegood, conservatrice au Hammer Museum de Los Angeles, l’artiste Tim Rollins et le professeur d’art contemporain Howard Singerman. Les jurés ont tenu à féliciter l’artiste pour l’ensemble de sa carrière, dont certaines œuvres « ont changé le cours du cinéma et de la vidéo contemporains ».

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L’année 2010 est donc charnière pour Pierre Huyghe comme il explique dans l’interview donnée au Quotidien de l’Art en date du 26 juin 2013 : « C’est pendant The Host and the Cloud que je l’ai compris. Il s’agit d’un travail réalisé pendant un an, sur trois moments. J’avais le temps de réfléchir, de réajuster. C’était comme un laboratoire. J’ai pris quinze personnes que j’ai mises sous conditions. Petit à petit, j’ai découvert que ce n’était pas les situations qui m’intéressaient mais leur porosité. Je voulais produire des conditions et moins des relations. Il y avait un paramètre incontrôlable. Quand est venu le moment de faire la Documenta, j’ai essayé de jouer avec les marqueurs de l’Histoire et de mon histoire et voir comment ces marqueurs s’affectent et se corrompent. J’ai voulu voir comment ces parties animale, minérale et végétale se mettaient en place, comment les abeilles pollinisaient. Ce n’est pas un processus qui s’arrête quand la dernière personne quitte le compost. C’est une chose qui grandit indifféremment du spectateur. C’est ce qui m’intéresse, c’est précisément cette chose en soi, qui grandit qu’elle soit mise en lumière ou non. »

En 2013, il est le premier artiste français à obtenir le prix Haftmann de la fondation helvétique Roswitha Haftmann, basée à Zurich.

Le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou à Paris a lui consacré une rétrospective (du 24 septembre 2013 au 8 janvier 2014).

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[symple_divider style= »solid » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″][symple_heading style= » » title= »Streamside Day » type= »h1″ font_size= » » text_align= »left » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″ color= »undefined » icon_left= » » icon_right= » »]

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Streamside Day en est un moment clé. Réalisé pendant sa résidence à la DIA Foundation de New York, ce film raconte une histoire en train de se faire : la naissance d’une ville, l’avènement d’une communauté. Au bord de l’Hudson, un lotissement en construction est en voie d’achèvement. C’est le point de départ pour créer un événement, une célébration qui pourrait devenir une coutume. Si la base est réelle, Pierre Huyghe est l’arrangeur de cette fête qu’il provoque, telle une hypothèse du futur qui se déroule dans le temps de la journée. L’exposition change alors de format, le fait artistique est ce moment où la réalité est rejointe par la fiction. Si le début du film s’ancre dans une nature idyllique et romantique en référence au monde merveilleux (et américain) de Walt Disney, la suite prend appui sur une famille tout aussi modèle que l’on suit dans son déplacement, géographique et mental, vers le village de Streamside Knolls. Le temps du voyage est celui qui fait se rejoindre le passé (dans les bagages) et ce futur à inventer.
La communauté se constitue volontairement autour d’objectifs communs, d’instants partagés. Les événements de cette étrange journée se succèdent : autant de moments « consacrés » – parade des enfants déguisés, buffet, discours, concert – sont ici révélés comme une abstraction de cette socialisation, comme un objet en soi, celui du mythe américain de la conquête qui dépasse par ailleurs les États-Unis pour violer peu à peu les campagnes occidentales dans un excessif et vain désir de nature. Le discours critique est sous-tendu par cette beauté étrange, créée de toutes pièces, qui renvoie à l’artifice de ce qu’elle révèle. Pierre Huyghe aime « faire avec, inventer avec » et il se réfère souvent à la notion de braconnage développée par Michel de Certeau : « La fiction est un moyen de saisir le réel. » Avec cette œuvre charnière, Pierre Huyghe étend le territoire de l’œuvre d’art en transformant le réel, transfigurant « ce qui n’est pas encore » en « ce qui pourrait être ».

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[symple_divider style= »solid » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″][symple_heading style= » » title= »This is Not a Time for Dreaming » type= »h1″ font_size= » » text_align= »left » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″ color= »undefined » icon_left= » » icon_right= » »]

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Invité à l’université Harvard pour créer une œuvre, Pierre Huyghe a choisi de s’intéresser à la gestation du Carpenter Center for the Arts, situé sur le campus. En 1955, Le Corbusier avait été invité à Harvard afin de développer un projet architectural destiné à abriter un centre pour les arts. José Luis Sert, lui-même architecte et recteur de la faculté d’architecture, avait été nommé responsable du projet, et Eduard Sekler, devenu directeur du Centre, avait écrit un livre sur sa genèse. Longuement préoccupé par la forme de l’œuvre qu’il allait produire, Huyghe passa d’abord par l’idée de mettre en scène une salle de cours, avant de s’arrêter sur celle d’un théâtre de marionnettes.

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Au départ, la pièce fut conçue pour être jouée dans un appendice ajouté à l’immeuble du Carpenter Center for the Arts de Le Corbusier. Ce pavillon, en forme de coquille recouverte de végétation, fut réalisé par l’architecte français François Roche. Les séances du théâtre de marionnettes y eurent lieu en présence d’un public. Une installation est présentée aujourd’hui de façon autonome. Elle fait acte à certains moments de la présence de ce public qui regarde, mais ce, seulement à la fin, lorsqu’un narrateur apparaît pour faire un commentaire sur l’événement qui vient de se produire. Autrement, nous n’entendons que la musique d’Edgar Varèse et de Iannis Xenakis – contemporains de Le Corbusier –, arrangée par Joe Arcidiacono. Du début à la fi n, nous assistons à une série de saynètes articulées autour de l’histoire conjuguée des invitations faites à Huyghe et, antérieurement, à Le Corbusier. Plusieurs personnages forment l’histoire, qui juxtapose les réalités du passé et du présent, l’onirisme et l’anxiété liés au processus de création. M. Harvard, une figure de très grande taille, angulaire, d’apparence noire et monstrueuse, tout droit sortie d’un tableau expressionniste, surgit de temps à autre, créant une atmosphère trouble et envahissante.
Puis apparaissent à tour de rôle les protagonistes réels de l’action telle qu’elle s’est déroulée hier et aujourd’hui : Le Corbusier, Sekler, Sert, Huyghe, et les deux commissaires rattachés au projet de Huyghe, Scott et Linda. Un gros oiseau rouge et sympathique vient picorer de temps à autre la scène. En plus du béton dont le bâtiment est fait, et dont la structure circulaire est inspirée du mouvement créé par la déambulation des étudiants dans la cour de l’université, Le Corbusier avait imaginé qu’au fi l du temps les oiseaux déposeraient suffisamment de graines sur l’immeuble pour qu’il se recouvre de verdure (idée que Roche et Huyghe ont reprise avec le pavillon végétal qu’ils ont imaginé et réalisé). Dans ce drame pour marionnettes, Huyghe raconte essentiellement l’avancement de son projet, qui se déroule de façon analogue à celui de Le Corbusier – scènes pleines de candeur et génératrices d’empathie, où l’on voit à tour de rôle les deux artistes troublés par l’emprise du lieu, les difficultés de parcours, les moments de stase inhérents à la création et les intuitions qui arrivent. L’un et l’autre connaissent des démêlés avec l’institution ; survient, menaçant, M. Harvard.

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Puis ils rêvent au pied d’un arbre. Huyghe, pour sa part, s’écroule sous des liasses de papier et des boîtes d’archives en faisant ses recherches autour du projet. Vers la fin, l’oiseau rouge réapparaît et dépose une graine au sommet de l’édifice : la végétation envahit le lieu, mais Le Corbusier, mort entre temps, ne le verra jamais de son vivant. De Harvard à Bird se trace le chemin de la création et de la libération, qui sont le propre de la gestation d’une œuvre. This is not a Time for Dreaming met en avant les paradoxes de la pratique artistique, aux prises avec le rêve et la réalité. L’institution, l’histoire, le lieu même, les méandres de la culture et de la nature typique de ce lieu, les différentes personnalités qui font qu’une œuvre en vient à exister sont convoqués. Huyghe procède régulièrement à de telles reconstitutions des faits, qui permettent de découvrir d’autres paramètres de la réalité et de l’histoire. Les personnages sont plus présents, en ce sens que l’abstraction créée par la marionnette provoque une empathie naturelle chez le spectateur. La marionnette est mue par des hommes, ce que la figure de M. Harvard renverse, l’autorité étant ici représentée par un monstre abstrait. La marionnette confère un caractère archétypal au personnage, le liant à l’histoire humaine et à ses drames inhérents et récurrents. La marionnette symbolise en quelque sorte l’impossible, ce qui est surhumain : un pouvoir surnaturel, ou surréel. M. Bird pousse cette caractéristique au plus haut point et incarne les pouvoirs magiques ou salvateurs de la nature. Plus que le théâtre d’acteurs, le théâtre de marionnettes fait place à l’onirique ; il n’est donc pas étonnant que Huyghe y ait eu recours dans cette œuvre, qui, plus que toute autre, traite des méandres de la création. Chantal Pontbriand

https://www.youtube.com/watch?v=r2NYO6Z9cFI

[symple_divider style= »solid » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″][symple_heading style= » » title= »A Journey That Wasn’t » type= »h1″ font_size= » » text_align= »left » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″ color= »undefined » icon_left= » » icon_right= » »]

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A Journey That Wasn’t est un film en couleurs fascinant d’une durée de 25 minutes réalisé par l’artiste français de renommée internationale Pierre Huyghe. Navigant entre fait et fiction, la pratique artistique de Huyghe épouse cette idée d’une réalité si incroyable que « pour rendre sa vérité, il faut en faire une fiction ». Dans A Journey That Wasn’t, Huyghe fusionne deux événements dont il est l’initiateur : une expédition en Antarctique afin de découvrir une créature albinos qui, selon certaines rumeurs, existerait sur une île polaire inconnue ayant émergé lors du retrait des glaces, et une reconstitution de ce voyage sous forme de concert et de jeu de lumières complexe qui a eu lieu à Central Park en octobre 2005. Il s’agît, tout à la fois, d’un documentaire sur la nature, d’un film de science-fiction et d’une comédie musicale. L’expérience cinématographique nous fait se promener entre l’exploration du paysage sublime et un spectacle orchestré, nous laissant décider quoi croire. Comme le titre le suggère, même le voyage n’a peut-être jamais eu lieu.

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A-Journey-That-Wasn’t, février__mars-2005-Courtesy-of-the-artist

[symple_divider style= »solid » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″][symple_heading style= » » title= »The Third Memory » type= »h1″ font_size= » » text_align= »left » margin_top= »30″ margin_bottom= »30″ color= »undefined » icon_left= » » icon_right= » »]

Pierre-Huyghe,-The-Third-Memory,-1999

The Third Memory est une œuvre essentielle dans l’histoire de l’art contemporain et des nouveaux médias, dont la réalisation complexe, dans le cadre d’une production du Centre Pompidou, a impliqué acteurs, décors, images d’archives, équipe technique de tournage, montage et mixage. Avec The Third Memory , Pierre Huyghe s’intéresse à la notion de mémoire et d’interprétation. Pour ce projet, il a recherché John Wojtowicz, l’auteur réel du fait divers – le braquage d’une banque à Brooklyn, New York, en 1972 – à partir duquel Sydney Lumet a écrit le scénario de Dog Day Afternoon . Pierre Huyghe lui propose dès lors de reprendre son rôle d’acteur principal, rôle qu’Al Pacino lui avait emprunté en copiant son jeu d’acteur sur des enregistrements télévisés (les médias étaient présents lors du braquage). Redevenu héros, John Wojtowicz réactive chaque jour, à chaque instant, la mémoire de ce fait divers et lui donne une place centrale dans l’histoire de sa vie. L’installation est composée de deux parties présentées dans deux salles : la première comporte quinze articles de presse et un documentaire télévisé, sélectionnés dans des archives ; la seconde présente une double projection réalisée par l’artiste, dans laquelle nous voyons John Wojtowicz conduire les acteurs et affiner son rôle pour rejouer une histoire qui n’est plus entièrement la sienne. Ainsi se superposent trois récits : celui de l’événement (la réalité), celui des médias (le document) et celui du film (la fiction). Christine Van Assche.

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Il est représenté par la galerie Marian Goodman New York – Paris.

© Pierre Huyghe

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